C'EST QUI
la givrée ?
Gabrielle
Givré(e) ? C’est mon deuxième prénom !
Lorsque j’ai annoncé à mon entourage ma décision de me lancer dans la fabrication de glaces artisanales, rares ont été ceux à exprimer de la surprise vis-à-vis de ma démarche, même si peu croyaient en un succès rapide.
Depuis mon plus jeune âge, je me rends en Italie, j’ai suivi mes études de stylisme à Milan, et j’ai développé de grandes affinités avec ce pays de même que ses habitants, sans oublier sa langue enchanteresse. La dégustation de glaces occupait une part importante de mes activités estivales. Le plaisir de retrouver des parfums inconnus chez nous, des saveurs authentiques, des textures onctueuses ne se démentait jamais. Un jour, mon parcours de vie professionnelle s’est interrompu brutalement. Des mots barbares ont surgi de nulle part : plan social, licenciement, reconversion. Après dix-neuf années de bonheur en tant que décoratrice et accessoiriste à la RTS, il a fallu absorber l’onde de choc : réflexions, entretiens, recherches infructueuses, et une première évidence : « Je dois me mettre à mon compte ».
À 52 ans, c’est un bouleversement. Jamais je n’avais imaginé cette configuration. Une deuxième évidence m’a obligé à creuser davantage : « Je ne veux pas reprendre d’études ». Puis, j’ai pensé que je n’avais plus rien à perdre. J’ai exploré la piste des Tiny Houses, ces maisons minuscules permettant l’accueil d’hôtes de manières différentes. J’aime le partage, l’hospitalité, le contact avec les autres, mais l’implantation des structures s’est révélée trop complexe et trop longue. Puis, je me suis souvenue de mon plaisir à déguster des glaces en Italie, et à mon envie insatisfaite de les savourer après une belle promenade au bord du lac Léman ou un plongeon dans ses eaux claires. Mes papilles ont commencé à saliver, mon esprit à rêver d’une gelateria à l’italienne, ici, en Suisse.
Hors de question pour moi d’improviser, alors j’ai suivi des cours en Toscane auprès du chef glacier Manuele Presenti, fondateur de la Gelato Naturale Academia, primé plusieurs années de suite par le prestigieux guide culinaire « Gambero Rosso ». Deux semaines de pur bonheur, de surprises pendant lesquelles mon projet a évolué de lui- même, grâce aux connaissances acquises sur les propriétés du sucre. Indispensable à la fabrication de la glace, il se décline. Par exemple, celui provenant du bouleau possède un indice glycémique bas compatible avec un régime de diabétique. Lors du cours, la nécessité de respecter la qualité des composants utilisés nous a maintes fois été répétée, notamment en n’y ajoutant aucun additif chimique. Ce qui m’a comblée, car je souhaitais vraiment maîtriser le processus de création du début à la fin tout en choisissant mes ingrédients. J’achète localement le lait, les fruits de saison, le yogourt, le sérac… Certains produits comme les pistaches sont importés, mais sous forme brute. Je les travaille moi- même. J’attache une grande importance à l’écologie, mes conteneurs sont biodégradables et la plupart de mes matières premières sont biologiques.
Avant mon cours, je n’avais jamais imaginé mettre la glace au service de saveurs salées. Quelle découverte ! L’alliance de la poire et du gorgonzola ou celle de l’avocat et du sérac ouvrent un tout autre univers. À la lecture des étiquettes des glaces industrielles, des yeux se froncent parfois, mais dès que les papilles gustatives et l’odorat entrent en jeu, le plaisir de la dégustation irradie les visages avec mes création givrées « fait maison ».
Cela m’amène à évoquer la joie toujours renouvelée d’accueillir mes clients, de les conseiller, de leur proposer un voyage ou un moment de détente. Grâce à mon triporteur 100% électrique, indissociable des vacances italiennes, je me déplace. J’avoue sans rougir que j’adore bouger. Sur mon passage, on me salue, on me sourit. Il marque les esprits. Lorsque l’on me croise sur un marché ou un festival, on me dit souvent : « Ah, mais je vous ai vue avec votre machine sur la route l’autre jour ! » Participer à des marchés ou des événements me plaît particulièrement. Les relations entre les marchands s’avèrent cordiales, et les consommateurs attentifs à ce qu’ils mangent sont plus sensibles à ma démarche de qualité et de proximité.
À l’Atelier Givré, chez moi à Vouvry, j’offre plusieurs espaces aux atmosphères différentes : une grande terrasse en bois à l’ombre des bouleaux, un coin canapé cosy, une cour entourée de vignes, idéale pour les enfants, où mes visiteurs peuvent savourer leur glace, siroter une boisson fraîche tout en profitant d’un moment de détente dans l’esprit de « La Dolce Vita ». Au début de la saison, j’exprime beaucoup de gratitude quand j’installe puis décore mon jardin avec un souci du détail, vestige de ma carrière passée. J’aime que tout le monde se sente « comme à la maison ».
Mes plus belles récompenses ? La joie que je lis sur les visages et de petites phrases telles que : « J’ai goûté la Fior di latte chez ma sœur », ou « J’ai beaucoup entendu parler de vos glaces ». La suite ? Continuer à proposer de succulentes créations (certaines improbables) en Chablais, mais pourquoi pas ailleurs aussi, comme à Gstaad ou à Stein am Rhein, des lieux d’enfance chers à mon cœur. C’est si bon de rêver !